Changer de vie pour… la cuisine

Il y a 3 ans, je vous racontais le parcours de Marine, ancienne ingénieure technico-commercial dans l’industrie cosmétique, qui avait décidé de se consacrer à sa passion : la cuisine. Après avoir monté son service de traiteur, elle avait pris un poste de chef dans un resto parisien. Quand je l’interrogeais, il y a 3 ans jour pour jour, elle venait de décrocher son CAP Cuisine en candidat libre et partait travailler dans la campagne anglaise au sein d’un hôtel Relais & Château étoilé Michelin. En mai 2017, sortait le livre “La révolte des premiers de la classe” et une connaissance m’indiquait par hasard que l’on y évoquait son parcours à travers mon article. La révolte des premiers de la classe ? Je ne sais pas si elle a seulement lieu chez les premiers de la classe. Une quête de sens, une quête de kif, une quête de ne plus cravacher tête baissée en attendant le vendredi soir, en attendant le 1er août, en attendant d’être soi, en attendant d’être heureux.

Aujourd’hui, pour inaugurer cette nouvelle rubrique qui a pour but de présenter des parcours de femmes et d’hommes qui ont changé de trajectoire professionnelle, j’ai choisi de vous donner des nouvelles de Marine. En 2013 à 27 ans, elle quittait les labos cosmétiques pour les labos de cuisine. En 2015, il y a 3 ans jour pour jour, elle partait travailler en Angleterre et quand je lui avais demandé où elle pensait être dans 4 ans, elle m’avait dit : “Je serai dans ma 35 ème année … F***. Je me vois soit à l’étranger soit en province.”

Alors, voici où elle en est 3 ans après…

Qu’est-ce que tu as fait depuis 3 ans ?

Le 7 octobre 2015, je partais avec mon sac a dos direction Newbury en Angleterre dans un Relais & Châteaux.
Je suis finalement restée 8 mois en Angleterre. 6 mois a Newbury dans une brigade de 20 personnes, je ne me sentais pas dans mon élément, beaucoup de monde, travail trop divisé pour moi qui faisait tout toute seule tout le temps. Un choc. J’ai rapidement trouvé un poste dans un restaurant plus petit à Cheltenham, plus gastronomique encore et nous étions seulement deux. Nous étions peu “compatible” avec le chef et je partais après 2 mois, direction la France, sans boulot. Puis, une très bonne copine, le jour de mon anniversaire, me dit qu’une connaissance de connaissance recherche quelqu’un pour cuisiner durant un mois pour 4 personnes pour accompagner la course Solitaire du Figaro.
Je ne connais alors rien en voile, mais je sais cuisiner et pour 4 personnes, je sens que le challenge n’est pas insurmontable. J’accepte et je pars un mois entre Deauville, Paimpol, Isle of Wight (UK) et La Rochelle pour nourrir 2 marins et leur préparateur. Superbe expérience, des gens adorables et une super ambiance. Le calme en pleine mer après la tempête anglaise. C’a ma fait du bien.

Pendant cette expérience, les gars me parlent d’une course de voile. La VOLVO comme ils l’appelaient durant laquelle les marins font le tour du monde en bateau avec des équipes qui les suivent et parfois des chefs. Evidemment, ça me fait rêver, Voyager et Cuisiner et être payée pour ça. What else ? Oui ça fait rêver mais je ne cherche pas, l’idée est de me poser un peu, de défaire mes valises et de commencer une nouvelle vie.

Retour à la maison, je cherche un job et d’abord une destination.
Je décide que ce sera Nantes, je n’y avais jamais mis les pieds mais j’avais un très bon feeling sans jamais y être allée. Je décroche un job pour l’ouverture d’un petit bistrot cuisine maison d’environ 40 couverts, dans le centre de Nantes. Parfait. Alors que j’ai signé et que j’en suis ravie, un ami m’envoie une annonce, on recherche un chef dans une des équipes de la Volvo Ocean Race. Panique à bord. Premier reflex, non non non, j’ai décidé de m’installer à Nantes, de me poser, de rechercher un peu de stabilité. Mais la tentation est trop grande. J’appelle au moins pour savoir. Très bon feeling, une envie irrépressible de dire oui.

Je demande à mon entourage son avis. Moi j’en avais follement envie, mais j’avais besoin d’être raisonnée un peu.

J’avais une semaine pour donner ma réponse.
Le 31 décembre 2016, premier jour de boulot dans le bistro nantais, je leur dis que je ne continuerai pas. J’avais dit oui ! Je partais donc le 23 janvier 2016, à Lisbonne rejoindre l’équipe DONGFENG RACE TEAM, l’équipe chinoise participant à la VOLVO OCEAN RACE. Au programme, 9 mois d’entrainement entre Lisbonne et Lorient et 8 mois de courses autour du monde. Une expérience unique, qui m’a fait grandir personnellement et professionnellement. Des voyages extraordinaires, des montagnes russes d’émotion. De la fatigue et des douleurs corporelles intenses. Aucun regret. Pas un instant je n’ai regretté. J’ai vécu une expérience unique, entourée de personnes extraordinaires qui vivent de leur passion.

La cerise sur le gâteau, nous avons gagné cette course (avec seulement une poignée de minutes d’écart). Après plus d’un an et demi hors de la Terre, je suis rentrée à la maison déboussolée. Un an sans rentrer, à vivre non stop avec une troupe de 50 personnes, souvent en partageant ta chambre, à vivre uniquement pour le projet, pour gagner. Et puis, je rentrais chez mes parents, comme après chacune de mes aventures, vidée et seule. Je me suis accordée 5 semaines de vacances avant de suivre une nouvelle fois une Solitaire du Figaro pendant un mois avec une partie de l’ancienne équipe. Et juste avant le départ de cette course, je postulais à un autre projet énorme, être chef de l’équipe anglaise INEOS TEAM UK qui prépare la prochaine America’s Cup. Me voilà donc après 3 ans, jour pour jour ou presque, au même endroit. Retour en Angleterre à Portsmouth. Beaucoup plus sereine, beaucoup plus mature personnellement et professionnellement. Il était temps !

En 3 ans, j’ai traversé l’Angleterre, l’Ecosse, le Portugal, l’Espagne, la Namibie, l’Afrique du Sud, l’Australie, la Papouasie Nouvelle Guinee, je suis passée par HongKong, la Chine, la Nouvelle Zelande, le Chili, et même sur l’Ile de Pâques, mais aussi au Brésil, aux Etats-Unis, en Suède et aux Pays-Bas.

– Est-ce que parfois tu as repensé à ta vie d’avant ? Regretté ? (Quand, pourquoi ?)

Jamais. Je faisais quoi avant déjà 😅 ?
Je le raconte quand j’explique d’où je viens. Je serais incapable d’y retourner. Je pense que je me suis trouvée maintenant. J’ai passé plus de temps en cuisine que dans un labo de cosmétique maintenant !

– Quel regard pose ceux qui ont toujours fait de la cuisine sur toi et plus généralement sur ceux qui se sont reconvertis dans ce métier ?

Je pense que les gens qui ont fait ce métier depuis toujours sous plus bienveillants avec moi que je ne le suis avec moi-même. Je ne me considère pas jouer dans la même catégorie. Aujourd’hui j’ai un poste de Head Chef mais je me dévalorise toujours face à ce que j’appelle des vrais chefs.
J’aurais toujours un respect fou pour ces gens là, et jamais je ne prétendrai que je suis un grand chef. J’ai trouvé mon créneau, c’est tout, et j’en suis ravie. Je donne le sourire à 70 personnes tous les midis et j’ai 70 mercis par jour. Qui peut en dire autant ? C’est mon seul objectif. Faire plaisir aux gens et c’est pour cela que j’avais change de vie. Il y a toujours un lien de respect et d’admiration pour ceux qui osent changer.

Aujourd’hui bizarrement, je ne me considère plus comme quelqu’un qui s’est reconvertie. J’ai la sensation que ça a toujours été ma vie. Je pense que dans tous les domaines, c’est difficile de se faire sa place, en partant de rien. On ne sent pas légitime face à des gens qui font ce métier depuis 15 ans. Alors que toi, tu arrives avec tes idées fraiches et tes envies de faire encore mieux que tout le monde.
Après 3 ans, j’ai la sensation que les reconversions sont devenus banales pour notre génération et a fortiori pour la prochaine. C’est normal, on tente, on ose, on a plus peur de rien et surtout pas de se planter. Il y a une sorte d’arrogance un peu. Qu’on avait pas encore quand j’ai commencé en 2012.

– Qu’est-ce que cette reconversion t’a apporté sur tous les plans ?

Un métier qui me plait chaque jour et que je ne souhaite pas changer. Une plus grande confiance en moi professionnelle, je me sens beaucoup plus légitime. Je suis reconnue dans ce que je fais.
J’ai rencontré des gens formidables. La voile c’est une niche pour moi, presque personne ne fait ce métier (la cuisine pour des courses de voiles). Je ne fais pas que nourrir des gens, je m’occupe indirectement de leur santé, et je travaille au mieux pour que l’équilibre santé et bonheur se voit dans l’assiette.

Ces marins et les gens qui les accompagnent font des choix de vie très marqués. Je m’y sens bien parce qu’on se comprend du coup. Je ne me sens pas en marge en étant partie sans mec et sans enfant à travers le monde pour faire mon métier. Ces gens là font plus dur encore, ils le font avec une famille et des responsabilités personnelles. Et ils le font bien ! De vrais warriors.
Un grand respect pour les femmes dans ces aventures. Elles sont mes modèles aujourd’hui et m’ont fait relativiser sur beaucoup de choses autour du concept de famille.

Je suis épanouie voila ce que ça m’a apportée personnellement et professionnellement.

– Penses-tu que ce soit plus dur pour une femme de travailler en cuisine ?

Je n’ai pas eu l’occasion de beaucoup travailler en brigade. Donc j’ai peu de retour sur expérience. Je pense simplement que c’est un peu plus difficile pour une femme de faire des choix de vie un peu différent. Même si les meurs changent, on est un peu formaté. C’est toujours plus difficile d’être femme entrepreneur. Il faut davantage faire ses preuves. C’est plus difficile d’être une femme libre et indépendante. On se sent obligée de se justifier.

Ça s’applique à tous les métiers. La cuisine dans une autre forme. Il faut être forte physiquement. Mentalement. Et parfois donner un côté un peu bonhomme pas toujours séduisant. Une fois que tu as trouvé ta place et ton équilibre pas besoin de ces artifices pour se faire respecter mais ça prend du temps. Ça va avec la confiance en soi dans ce changement de vie.

 

– Après 5 ans, quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui souhaite se reconvertir ?

Le même qu’au premier jour. Si tu as envie, tente, tu n’as rien a perdre. Les ratés te feront avancer, les doutes rendent plus forts. Un défi quotidien tellement enrichissant.

Juste avoir confiance en soi et assumer ses choix. J’aurais du le faire plus tôt.

– Quels sont tes plans pour les 3 prochaines années ?

On se réécrit le 7 octobre 2021.
Je viendrai de finir l’America’s Cup en mars 2021, je serai donc en nouvelle phase de transition. Je ne prévois plus rien, je pense que c’est préférable. La preuve, à chaque fois que j’ai essayé d’être une grande personne bien rangée, la vie m’a rattrapée. Promis on prend le rendez-vous, ça sera amusant.

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